La Prophétie des papes
« Mané, Thécel, Pharès ! Compté, pesé, divisé !
Fameuse sentence tracée par un bout de main qui annonçait l’imminente prise de Babylone par Cyrus.
A Venise en 1595 paraissait, au sein du Lignum Vità¦, ouvrage faisant l’apologie des personnalités de l’ordre bénédictin, une prophétie que le rapporteur, Arnold de Wion, attribuait à l’archevêque d’Irlande saint Malachie.
Celle-ci donnait non seulement la liste de tous les papes et antipapes s’étant succédé depuis Célestin II (1143), en leur attribuant un numéro d’ordre et une devise latine, mais aussi la liste des trente-sept papes restant à venir.
Nostradamus avait salué cette édition par un quatrain qui jusque-là était resté inexpliqué :
0294 Révélation de la Prophétie des papes 1595
» De cinq cent ans plus compte lon tiendra
Celuy qu’estoit l’ornement de son temps :
Puis à vn coup grande clarté donrra
Que par ce siecle les rendra trescontens. »
L’ornement de son temps ne peut être Nostradamus lui-même, car celui-ci utilise toujours un langage précis, or il dit bien «ce siècle», et ce ne sera pas n’importe lequel, c’est son siècle, le XVIe.
L’ornement c’est la malachite, carbonate naturel de cuivre, pierre d’un beau vert diapré, utilisée dans la fabrication d’objets d’art.
Et ce qui réjouit fortement les contemporains de l’événement, c’est que, en cette fin de siècle secouée par les guerres de religion et les nombreuses théories millénaristes et apocalyptiques, un texte propose un répit à l’Eglise :
il lui reste à connaître encore 37 papes. Quel soulagement !
Le rapporteur : Arnold de Wion
Arnold de Wion est né à Douai (ville appartenant alors aux Pays-Bas espagnols) le 13 mai 1554. Fils d’un procureur fiscal de cette ville, il prend dans sa jeunesse l’habit religieux à l’abbaye d’Ardenburg, près de Bruges, mais doit quitter le pays en raison des troubles religieux qui agitent la Flandre espagnole. Il se retire en Italie et, en 1577, est reçu dans l’ordre de Sainte-Justine-de Padoue, dépendant de la congrégation du Mont-Cassin.
Là , il consacre son temps à l’étude de documents anciens.
Avant de publier le manuscrit original qu’il avait découvert sur la Prophétie des papes, il le soumet à l’analyse d’un moine espagnol spécialiste des textes anciens :
François-Alphonse Chacon dit Ciacconius (né à Grenade en 1540) de l’ordre des Frères Prêcheurs qui enseignait au couvent de Saint-Thomas de Séville.
C’est Chacon qui trouve les premières concordances entre les devises de la prophétie et certains points concernant les pontifes (blason, nom de famille, lieu de naissance, etc…).
Il remet son étude à Wion pour publication.
Quand en 1595 Arnold de Wion publiera cette liste dans son ouvrage Lignum Vitae ornamentum et decus Ecclesiae, en moine bénédictin qu’il est, il la rangera, comme pièce annexe, dans saint Malachie à la lettre D pour évêché de Down en Irlande.
Il cite cette prophétie sous forme d’anecdote.
Il ne dit pas où il l’a trouvé, quelle forme elle avait, si elle était écrite à l’origine en latin ou en français ?
Ce dont nous pouvons être sûrs c’est que quelque part dans cette liste devait être indiqué comme point de départ le premier pape Célestin II qui accéda au trône pontifical en 1143.
Le texte publié par Wion
Il consistait en une brève introduction suivie de 111 devises latines numérotées et de l’envoi dont je reproduis ici la fin.
105
Fides intrepida
La foi intrépide
Pie XI
Achille Ratti
06.02.1922
10.02.1939
106
Pastor angelicus
Le pasteur angélique
Pie XII
Eugenio Pacelli
02.03.1939
09.10.1958
107
Pastor et nauta
Pasteur et nautonnier
Jean XXIII
Angelo Giuseppe Roncalli
20.10.1958
03.06.1963
108
Flos florum
La fleur des fleurs
Paul VI
Giovanni Battista Montini
21.06.1963
06.08.1978
109
De medietate lunae
De la lune médiane
Jean-Paul 1er
Albino Luciani
26.08.1978
29.09.1978
110
De labore solis
Du travail du soleil
Jean-Paul II
Karol Joseph Wojtyla
16.10.1978
02.04.2005
111
De gloria olivae
De la gloire de l’olive
Benoît XVI
Joseph Aloisius Ratzinger
19.04.2005
28.02.2013
In pÆ’ecutione. extre-ma S.R.E. Æ’edebit. Petrus Romanus, qui paÆ’cet oues in mul-tis tribulationibus : quibus tranÆ’actis ci-uitas Æ’epticollis di-ruetur, & Iudex tre- mêdus indicabit po-pulum Æ’uum. Finis. /
=
Dans la dernière poursuite / persécution de la Sainte Eglise Romaine, sera installé Pierre le Romain qui fera paître ses brebis au milieu de nombreuses tribulations : pendant lesquelles la ville aux sept collines sera détruite et le Juge terrible désignera son peuple. Fin.
L’impression et la diffusion rapide de cette prophétie a soulevé dans tous les milieux et à travers les pays les plus divers, la curiosité et l’admiration; mais le fait le plus digne de remarque est que l’autorité ecclésiastique, d’ordinaire si sévère à l’égard de toutes les nouveautés en matière de doctrine, miracles ou prophéties, n’a jamais pris aucune mesure pour enrayer le mouvement de vénération manifestée à son endroit.
Si le Vème concile de Latran, en 1516, taxait d’excommunication tous les prédicateurs publiant de nouvelles prophéties, en particulier sur l’Antéchrist et la fin du monde, si vers la moitié du XVIe siècle, le concile de Trente poursuivait les mêmes abus ; depuis trois siècles, aucune condamnation n’a été portée à Rome par le Saint Office ni dans aucun diocèse par les évêques, soit contre la publication du texte d’Arnold de Wion, soit contre ses reproductions ou ses nombreux commentaires.
De plus, la simple tolérance s’est muée bien des fois en sympathie réelle.
A l’ouverture des conclaves, cardinaux et fidèles s’amusèrent parfois à pronostiquer, grâce aux devises, le nom du futur pape.
Certains pontifes eux-mêmes acceptèrent dans leur vie publique, l’application de ces légendes à leur personne. L’énumération qui suit prouvera l’adhésion complète et sans mesure de l’Eglise catholique à cette prophétie.
Une acceptation pleine et entière, témoignages :
En 1670, Clément X passa à Rome sous un arc de triomphe orné de la devise : De flumine magno qui lui était attribuée.
Dans la même ville, pour commémorer l’élection d’Alexandre VIII, on frappa une médaille qui portait sa légende prophétique : Pœ“nitentia gloriosa.
Au XVIIIe siècle, on offrit à Clément XI une médaille, originaire d’Allemagne, qui donnait sa devise : Flores circumdati.
Quelques années plus tard, à Vienne, lors du voyage en cette ville de Pie VI, apparut une nouvelle médaille accompagnée de la légende : Peregrinus apostolicus.
Pie X (Ignis ardens, 1903-1914) dit à son confident Mgr Bresson : «Après ma mort, c’est là vraiment qu’il y aura Religio Depopulata, la Chrétienté dépeuplée.»
Pie XI (Fides intrepida) dans son encyclique « Mit brennender Sorge », exorte les fidèles à demeurer « assez généreux en face de la souffrance pour opposer à la force matérielle des oppresseurs de l’Eglise l’intrépidité d’une foi profonde ».
Par deux fois lors de son discours d’intronisation Jean XXIII (Pastor et Nauta) citera son prédécesseur Pie XII par sa devise Pastor Angelicus.
Enfin l’organe officiel de la papauté, l’Osservatore Romano en date du 7 novembre 1958 statue deux semaines après son élection :
La prophétie légendaire de Malachie l’annonce et le nomme : Pastor et Nauta.
Aucun pape, jusqu’à présent, ne fut à ce point rapproché par les autres devises :
– qu’elles fussent interprétées d’après un signe héraldique ou selon certains événements ou entreprises
– « du premier Pontife et pareillement identifié avec celui qui vécut sur un bateau de pêche, symbole, désormais, de l’Eglise. Nous faisons des vœ“ux pour ce nouveau Pasteur, naviguant non plus sur les eaux de Tibériade, mais sur la mer du monde ».
Ces exemples suffisent à caractériser l’attitude de l’Eglise.
L’archevêque et primat d’Irlande Malachie
Saint Malachie (1095 env.-1148) ; Mael (Maol) Maedoc ua Morgair, nom qu’on a transposé en Malachie O’Mongoir, naquit à Armagh en Irlande du Nord.
En 1124, il fut élu évêque de Connor.
Mais quand il reçut le titre d’archevêque d’Armagh et primat d’Irlande en 1132, il se heurta à une vive opposition de la part de la famille qui, depuis longtemps, fournissaient les titulaires de ce siège.
De guerre lasse, il démissionna en 1137.
En 1139, il se rendit à Rome au Latran pour le 9e concile œ“cuménique où mille évêques étaient présents.
Le pape Innocent II, en le nommant légat, lui donna officiellement la direction de l’église d’Irlande.
Traversant la France, Malachie, passant par Clairvaux, revit saint Bernard, qui avait imposé Innocent II comme seul pape légitime le 29 mai 1138.
Une vive amitié naquît aussitôt entre eux.
En 1148, Malachie voulut retourner une seconde fois à Rome. Mais il tomba malade en route, et put seulement arriver en octobre à Clairvaux où il s’alita.
Quelques mois auparavant, il avait prédit que «à Clairvaux, cette année même, il serait dépouillé de son corps» et il avait ajouté «le jour est proche».
Et quel jour, lui avait-on demandé ?
«Le jour de la commémoration de tous les défunts.»
Or par une étrange coïncidence, à cette date du 2 novembre, Bernard avait prévu une cérémonie spécialement consacrée aux défunts du monastère, cérémonie qui comprenait le transfert d’ossements dans le cimetière de la nouvelle enceinte.
Malachie demanda à recevoir les sacrements et descendit à la chapelle; puis il se recoucha et bénit les moines qui l’entouraient et leur dit qu’ils pouvaient se retirer et aller se coucher, car «l’heure n’était pas encore venue». Vers minuit, Bernard fut mystérieusement averti que «l’aurore se levait au sein même des ténèbres». Il comprit. Et accompagné de toute la communauté, il se rendit près de Malachie.
Et c’est alors que, doucement, Malachie rendit l’esprit, à l’aube du 2 novembre 1148, dans les bras de son illustre ami.
Saint Bernard écrivit, plus tard, la Vie de son ami où il mentionne qu’il n’était pas dénué d’esprit de prophétie. Saint Malachie fut canonisé en 1190.
Quelques réussites postérieures à sa publication
Comme l’a si bien écrit le premier chercheur, Chacon, les devises s’accordent particulièrement bien aux personnages élus.
On remarque, avec leur blason, leur nom de famille, leur lieu de naissance, la position occupée lors de l’élection ou le contexte historique contemporain, une évidente familiarité avec les termes employés par la prophétie.
En voici quelques exemples :
96 Peregrinus apostolicus : le Pèlerin apostolique
Pie VI (1774-1799), premier pape à sortir des terres du Saint Siège à plusieurs reprises. A Vienne (Autriche) en 1787 et aussi à cause des guerres de la Révolution Française en Italie, transporté et incarcéré en France par le Directoire où il mourut.
97 Aquila rapax : l’Aigle rapace
Pie VII (1800-1823), dépouillé de ses Etats par l’aigle impérial (Napoléon).
100 De Balneis Etruriae : de Balnès en Etrurie ou des bains d’Etrurie
Grégoire XVI (1831-1846), religieux camaldule dont la maison-mère était à Balnès.
101 Crux de Cruce : La Croix venant de la Croix
Pie IX (1846- 1878), chassé de ses Etats par la Maison de Savoie, dont les armes sont une croix d’argent (blanche) sur champ de gueules (rouge).
103 Ignis ardens : le feu ardent
Saint Pie X (1903-1914) qui meurt à l’instant où se déclare la Première Guerre mondiale.
104 Religio depopulata : La religion décimée
Benoît XIV (1914-1922), qui a régné durant la Première Guerre mondiale et meurt au moment du recensement officiel de l’hécatombe en 1922.
109 De mediatate lunae : de la lune médiane ou du milieu.
Jean-Paul Ier (1978), qui n’a régné que trente quatre jours du 26 août à la nuit du 28 au 29 septembre et dont le nom était Albino Luciani (blanche lumière). Le terme «mediatate» ne signifie pas «au milieu de». Si l’année 1978 connut trois papes ayant tous porté le nom de Paul – Jean-Paul Ier étant bien celui du milieu – quel rapport avec la lune ?
Cette année 1978 ou plutôt l’année zodiacale du 20 mars 1978 au 20 mars 1979 comptera treize pleines lunes. Le règne de Jean-Paul Ier sera marqué par la 7e, celle du milieu.
110 De labore solis : du parcours (ou du travail) du Soleil.
Jean-Paul II, qui va certainement régner assez longtemps puisque le cycle du Soleil commençant en 1981 se terminera en 2016. Mais un règne de cette longueur est peu envisageable, ce serait le plus long qu’ait jamais connu le Saint-Siège.
Ce pape sera grièvement blessé en 1981 qui est la première année solaire du cycle solaire. Mais peut-être faut-il voir dans le soleil de sa devise autre chose.
Remarquons qu’il fait suite à une lune, or cette juxtaposition des deux corps célestes est unique dans la liste des papes. Cela fait penser au travail alchimique où le Soleil est le symbole de l’or. Bizarrement Jean-Paul II est élu au cours de l’année 1978, le siècle est donc dans sa 79e année. Or l’or a comme poids atomique 79.
Comme vous le voyez cela forme un nombre trop impressionnant de coïncidences pour n’être qu’une pure invention littéraire.
Moine copiste et/ou vilain copieur
Si la Prophétie des papes réjouissait l’Eglise par une prolongation inattendue de la papauté, elle allait très vite susciter des controverses et des attaques.
L’une des plus virulentes est le fruit du père jésuite François Ménestrier qui, à force d’arguments dont certains mensongers, allait mettre le doute dans les esprits « cartésiens » du XVIIe siècle.
Celui-ci contestait la paternité de l’œ“uvre à saint Malachie et en cela nous ne pouvons lui donner tort, car c’est un fait avéré que le primat d’Irlande ne pouvait en être l’auteur.
La preuve que Malachie n’a point écrit de prophéties, c’est qu’un de ses comtemporains, l’auteur des Annales de Citeaux, Ange Manrique, assure qu’ayant eu en sa possession tous les papiers du saint, il ne trouva aucune prophétie.
Ensuite, ni Othon Frisingen, ni Jean de Salisbury, ni Pierre-le-Vénérable, qui s’occupèrent beaucoup des affaires ecclésiastiques et des travaux de saint Malachie, ne parlent de la prétendue prophétie publiée par Arnold de Wion.
On ne peut donc attribuer à saint Malachie la création de la Prophétie des papes car, nous le démontrerons plus loin, l’auteur véritable de cette prophétie possédait une culture alchimique et cabbalistique, matières totalement ignorées du saint.
Cependant, il y a parfois une vérité dans la contre-vérité.
Le père Ménestrier, tentant de démontrer la nullité de cette prophétie, malgré un regard inquisiteur souvent aveuglé par le zèle, n’a pourtant pas laissé passer un détail essentiel.
Il remarque en effet la non conformité de la liste des papes publiée par Arnold de Wion avec celle officiellement reconnue.
Logiquement il y devrait y avoir huit antipapes.
De ces huit, seuls deux sont présentés comme schismatiques chez Malachie :
Nicolas V (pas le vrai) en 1327, que la prophétie nomme «Corvus schismaticus, le corbeau schismatique», et Clément VIII, appelé « Schisma Barchinonium, Schisme des Barceloniens » (1424).
Pourquoi deux antipapes seulement sur huit ?
Ce détail va nous ouvrir des horizons.
Dans une Vie des papes que fit paraître en 1557 l’historien Onofrio Panvinio alors bibliothécaire au Vatican (1) ne figurent que deux personnages dans la listes des antipapes.
Il apparaît alors clairement que le pseudo-Malachie a tout simplement copié la liste des papes de Panvinio.
Et cela est si vrai qu’il en a reproduit les erreurs, partout où il s’en rencontrait (2).
1. Onofrio Panvinio : ou Onuphre Panvin, antiquaire, historien et compilateur italien, professeur de théologie à Florence en 1554, il fut attaché à la bibliothèque du Vatican sous Marcel II, pape qui régna vingt-deux jours au mois d’avril 1555. ll publia une chronologie des papes, de l’apôtre Pierre jusqu’à Paul IV : Epitomae pontificum Romanorum. Petro usque ad Paulum IV. Venise, Jacob Strada 1557.
2. Panvinio, par exemple, avait noté que le pape Eugène IV appartenait à l’Ordre des Célestins. Le pseudo-Malachie s’empare de ce détail et fabrique la devise : « Lupa Caelestina, la louve célestine ». Or Eugène IV n’avait pas été Célestin, mais Augustinien. Pour la devise de Jean XXII : « De sutore Osseo, Du cordonnier Ossa » Panvinio s’était encore trompé.
Jean XXII appartenait à la famille de Duèze ou d’Heusse, mais il n’était pas fils d’un cordonnier. Cette similitude dans les erreurs est une preuve péremptoire que l’auteur a copié Panvinio. Quand un professeur trouve parmi ses élèves deux versions trop voisines, s’il y rencontre les mêmes erreurs, aux mêmes points, il conclut que l’un a copié l’autre et il aura raison.
Assez d’éléments pour s’interroger, sur l’attitude de l’Eglise, sur l’utilisation de la prohétie,… et sur son véritable auteur… ?
Si ce n’est pas Saint Malachie… qui peut-il être ?
140 réponses
> La prophétie des Papes (non actualisée !)
Dans votre tableau des successions des Papes, vous n’avez pas actualisé les données pour Benoît XVI !
C’est un peu dommage !
Courtoisement vôtre.
Votre serviteur
> La prophétie des Papes (non actualisée !)
Dans votre tableau des successions des Papes, vous n’avez pas actualisé les données pour Benoît XVI !
C’est un peu dommage !
Courtoisement vôtre.
Votre serviteur